Monique Bélivier • La puissance d’une vie
Les élèves des classes de 4e A et B du collège Ozanam à Limoges ont rencontré Monique Bélivier. Experte judiciaire en immobilier d’entreprise à Limoges, elle est l’auteure du livre autobiographique La Vilaine, née d’Oradour (ed. Paulo-Ramand) de 2016. Monique Bélivier a passé une partie de sa jeunesse à Oradour-sur-Glane. 75 ans après le massacre, elle raconte la « génération d’après ».
Une auteure de sa vie
Avez-vous pris du plaisir à écrire ce roman ?
Oui, j’ai pris beaucoup de plaisir à rédiger ce que je préfère appeler une autobiographie, mais ce n’était pas sans douleur… Née à Oradour en 1955, je suis allée à Cieux, à l’école Sainte Marguerite, à huit km de chez moi ! Je ne retrouvais ma famille que tous les quinze jours, quand je n’étais pas punie… Pendant l’été, je ne rentrais pas chez moi non plus : on m’envoyait en colonie à Sarran, en Corrèze.
Si vous pouviez résumer votre roman en un mot quel serait-il ?
Le mot qui résume mon roman serait peut-être « valise » car pour mes six ans mes parents m’en ont offert une : j’ai mis toute ma vie dedans car ils m’ont envoyée en pension. J’ai été comme bannie de ma famille, mise en prison pendant neuf ans.
D’où vous est venue cette idée de livre ?
Un jour j’avais un temps libre sur mon agenda et du coup je suis retournée à Cieux, à Sainte-Marguerite. J’y suis rentrée et cela m’a rappelé mon enfance prisonnière. J’ai pris des photos, et je suis allée dans le parc. Au moment de repartir, j’ai aperçu un point rouge. Plus j’avançais avec ma voiture, plus le point rouge devenait gros et nette. C’était une personne familière : une ancienne surveillante de mon pensionnat ! À partir de ce moment j’ai eu envie d’écrire l’histoire de la Vilaine. Il m’aura fallu 18 mois pour écrire ce livre.
Avez-vous retrouvé des amies du pensionnat ?
Avec les réseaux sociaux, j’en ai recontactées plusieurs et j’ai même retrouvé Aline il y a deux ans, ma meilleure amie.
Avez-vous finalement compris pourquoi vos parents vous avaient mise à l’écart ?
On m’a toujours dit que je ressemblais beaucoup à ma tante, de physique et de caractère. À mon sens j’étais une douleur vi-vante aux yeux de mon père.
Tous les deux étaient à Oradour le 10 juin 1944 : ma tante est morte dans le massacre, mon père a évité le pire.
Comment votre père a-t-il survécu ?
Mon père avait du mal à parler du massacre jusqu’à ce que je lui demande d‘écrire comment il avait survécu. Deux ans plus tard il m’a rendu son histoire : le 10 juin 1944 il devait rejoindre ses amis mais il a dû s’occuper d’un veau qui s’était échappé, ce qui lui a sauvé la vie. Il a pu aller se cacher et se protéger. Il a toujours été convaincu qu’un Allemand l’avait vu, mais qu’il l’avait épargné…
Souffrez-vous encore de ce massacre ?
Personnellement, je n’en souffre pas, c’est mon père qui a été rescapé. Les jeunes d’Ora-dour nés après la guerre ont vu leurs parents souffrir : il n’y avait plus de maisons, plus d’amis ! Ils se sont retrouvés sur une autre planète dans un village neuf, sans arbre, sans enfant, sans vie. Oradour est en filigrane dans mon bouquin, je ne raconte pas direc-tement ce qui s’est passé. Mais la Vilaine est universelle, avec son héritage de l’Histoire. Malheureusement, aujourd’hui encore il y a des Oradour et il faudra que les enfants gran-dissent avec ces souvenirs !
Pourquoi vous êtes-vous représentée en clown sur la couverture de votre livre ?
C’est la seule photo de moi enfant. Je me suis transformée en clown car je faisais rire mes « amies » pour oublier mon mal-être. Le plus souvent quand on fait le pitre, c’est qu’on a quelque chose à cacher…
Y a-t-il une morale dans votre livre ?
Je n’ai pas la prétention d’en donner une ; mais je crois qu’il faut toujours pardonner pour pouvoir être heureux.
Avez-vous pardonné à vos parents ? Qu’est-ce qui vous en a donné la force
J’ai pardonné à mes parents car je considère que c’était leur choix et c’est ce qui fait de moi ce que je suis aujourd’hui !
La vilaine, née d’Oradour Une enfance touchante
Alors qu’elle s’était trompée dans son emploi du temps à Paris, elle éprouve le besoin de retourner à l’endroit où elle a vécu, de 6 à 15 ans, à Cieux. Dans son livre, elle évoque son enfance volée et sa vie au pensionnat : l’école Sainte-Marguerite.
Elle avait le droit de sortir seulement une fois tous les quinze jours, alors qu’elle habitait à seulement huit kilomètres. Elle écrit les bons comme les mauvais souvenirs dans son œuvre où nous pouvons passer du rire aux larmes.
Trois générations après
Victoire et Mila, élèves de 4e, habitent à Oradour (elles sont des Radounaudes) : elles racontent qu’elles aussi entendent encore des témoignages de rescapés qui ont traversé les générations, des anecdotes transmises par les familles sur le massacre du 10 juin 1944. Les 10 juin, les Présidents de la République française viennent à ces commémorations. Victoire assiste à ces célébrations depuis toute petite ; elle n’en a jamais raté une et il y a toujours énormément de monde ! Une fois, elle a même pu serrer la main du président ! Elles vont parfois dans le village martyr ; Valentine accompagne son grand-père qui va s’y recueillir. Elles ont conscience de ce qui s’est passé, mais l’atmosphère n’est pas pesante : Oradour est aujourd’hui une ville vivante avec beaucoup d’associations, d’animations, le comité des fêtes… On voit vraiment la séparation entre l’Oradour d’avant et celui de maintenant.
Raconter sa vie : aussi sur Internet
Nous avons demandé à la rédactrice de France 3, Hélène Abalo, quelle valeur ont les récits de vie que l’on peut trouver sur internet.
Pour un journaliste qui cherche à être objectif, les récits que chacun peut poster en ligne sur les réseaux sociaux (Blogs, stories…) sont des points de vue, comme les autobiographies. Ce n’est pas dangereux de partager sa vie sur internet, à condition de cibler ses proches, sa famille. De plus il ne faut pas confondre information avec potins, anecdotes ou rumeurs ! Mieux vaut être méfiant et éviter les fausses informations (Fake news) en les vérifiant. Le journaliste peut aussi rendre compte de l’Histoire dans des documentaires. La chaîne publique a d’ailleurs recueilli en juin dernier l’un des derniers témoignages sur place de Robert Hébras, le dernier survivant d’Oradour.
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