Ah ! « Les Rameaux, « Les Rampans »
Que n’a-t-on pas dit de la pratique religieuse des Limousins pour cette fête !
« C’est le jour de l’année où les églises sont pleines ! » ; « Les rampans garnis avec des sucreries, des meringues je n’ai jamais vu cela ailleurs… ! » ; « Vous pensez ! Ils apportent le buis dans les maisons, et même dans les champs, les étables et au cimetière… » ; « Et puis il y a l’incontournable brioche : « La cornue » ; « Les enfants sont les rois de la fête ce jour-là, chacun a son « rampant garni » ; « Les uns disent que c’est une religion de superstition » ; « Il y a même des curés qui leur passent un savon. Ne venir que ce jour-là ! » ; « On dit que le vent qui buffe sur les Rampans, buffe les trois quarts de l’an ».
J’ai relu les « Mots d’écrit du Père Menfouté » (chroniqueur « des choses de la campagne, des choses de l’Eglise, des choses du pays, des choses anciennes et nouvelles… », écrit en français patoisan entre 1931 et 1944 par un anonyme (mais connu de tous !) et publiés dans La Croix de Limoges). Extraits :
« Les Rameaux à la campagne. »
« Le jour des Rameaux, on porte bénésir à la messe une grosse brassée de buis et, en rentrant, on en met dans les maisons, au bon saint crusafi, au bénétier et sur l’ermari pour se servir en cas d’accident ou de mort. On en piquette aussi dans les granges, les étables, pour préserver de malheurs les récoltes et le pauvre bestiau. Le reste on va le planter au coin des champs de blé pour que le bon Dieu le fasse profiter et le garde du méchant temps. » […] « C’est le maître de la maison qui, d’habitude, fait cette promenade. » (Il serait beau que le Père de famille dimanche bénisse le buis pour la maison)
« Connaissez-vous la remarque de nos anciens ? Ils disaient que le vent qui buffait pendant la messe ce jour-là, buffait les trois quarts de l’année. Aussi ils ne manquaient pas de sortir de l’église pendant qu’on chantait le credo pour voir de quel côté était viré le coq. Mais c’était le temps où le monde se mouchait sur leur manche, comme on dit. » (Aujourd’hui on nous demande de tousser dans sa manche, son coude !)
Ce qu’on doit savoir et que l’on peut en dire
1. Le buis
C’est avec des palmes à la main que les habitants de Jérusalem, adultes et enfants acclament et bénissent Jésus. Les buis que nous apportons à la fête des Rameaux sont à lever pour chanter Hosanna. Normal alors, que ce buis-là protège, bénisse, les gens, les enfants, la maison, les étables, les champs et nos morts. Chacun en a besoin. On en donnera même à ceux qui ne peuvent venir à l’église. On le mettra bien en vue sur le crucifix dans la maison.
2. Le Rampan garni sont en forme de boule (comme un pommier) portée sur un manche.
L’armature que l’on entourait de buis se vendait sur la place des bancs à Limoges, sur les marchés. On la gardait aussi dans le grenier. C’est toujours le Rampan d’un enfant. Celui du petit qui maintenant a traversé la mortalité infantile, qui commence à se tenir debout, qui est promesse d’avenir avec ses bras pour la ferme. Les sucreries accrochées au rampan l’occupent pendant la messe et lui seront une gâterie de fête. L’Église a institué une bénédiction spéciale pour les enfants en ce jour, et en a fait la Journée de la Jeunesse. (Les anciens, rappelez-vous, le rassemblement « Rameaux FM », près de 3000 jeunes, de la 6e aux étudiants du diocèse dans l’abbatiale de Solignac 1992). Parents bénissez vos enfants ce jour-là ! Laissez-les acclamer Dieu. Priez en famille. (Bénissez le buis au nom de votre baptême). « Si vous les faites taire, je vous le dis même les pierres crieront. » Le rampan garni, en forme d’arbre, symbolise le petit enfant qui marche, mais aussi chacun de nous les pieds au sol et les yeux vers le ciel. Que chacun de nous soit un arbre, debout, qui porte des fruits. Soyons promesse d’avenir.
3. La « cornue »
Toutes les fêtes religieuses et même chrétiennes sont liées à un met. Aux Rameaux, c’est une brioche en forme évocatrice ! jusqu’à conduire un évêque dans un mandement au 19e siècle à demander aux boulangers d’être plus discrets dans la forme de la cornue. C’est aussi la fourche pour chercher l’eau et autre secret sous le sol.
Bref, deux messages. Cette fête porte en elle des symboles de fécondité : pour la vie matérielle, la santé, les enfants, les récoltes… De plus elle est un des lieux privilégiés où se repère le croisement des deux formes de religion, celle dite « des Limousins » et celle du christianisme. Elles font ensemble bon ménage. (cf. le livre du Père Pérouas « Une religion des Limousins ? » Le temps du confinement m’a donné le plaisir de le reparcourir).
Aujourd’hui la célébration des Rameaux
Même si les jeunes générations, les jeunes familles se sont éloignées de ce patrimoine, humain, spirituel et chrétien, la fête des Rameaux continue à faire référence et à nous relier à notre identité locale, à une pratique religieuse héritée de nos ainés, à un événement fort de la vie de Jésus.
Pourquoi donc deux liturgies en une, deux Evangiles ? Nous entendons le récit de l’entrée de Jésus à Jérusalem et le récit de la Passion. Les spécialistes de la liturgie vous expliqueront.
Pour ma part, puisque le peuple de Dieu aimait tellement cette fête, on ne pouvait pas lui demander de faire des kms à pied pour se rendre à l’église, et pour les Rameaux, et pour le Vendredi saint et pour Pâques, il était important qu’une fois l’an et avant de faire ses Pâques (on a pour cela 50 jours) chacun entende le récit fondateur du christianisme, le Récit de la Passion du Christ,.. où tout l’humain rencontre tout l’amour de Dieu.
Un émerveillement
Le dimanche des Rameaux c’est le dimanche de « la surprise » Voilà qu’ils sont tous revenus ! Chacun s‘émerveille, en se disant « même lui, même elle, ils sont là, alors que je pensais que, avec ce qu’ils disent sur les curés et sur l’Église ! » C’est le dimanche où le frère aîné, présent toute l’année doit se réjouir de voir son frère revenir et non râler de le revoir… (cf la Parabole de l’enfant prodigue). Tous les acteurs pastoraux vous le diront les célébrations des Rameaux depuis quelques années ont pris une dimension liturgique de qualité. Elles sont devenues très priantes, très participatives (très peu partent la bénédiction faite, je me souviens que certains venaient avant la messe mettre leur buis dans le confessionnal et le récupéraient en cachette la messe dite !). Tous assistent à la lecture de la Passion, Les buis se lèvent à l’Hosanna mais aussi au Notre Père. La médiation devant la croix est poignante, accompagnée par le beau chant de Gethsémani de Littleton. Les paroisses ont fait un magnifique effort liturgique. Quelle belle époque ! Fini le temps de ces célébrations qui mettaient tout le monde mal à l’aise, il y a plus de cinquante ans. Merci au renouveau liturgique des années 50 à 70.
Je terminerai par une sentence toute simple et si vrai.
« Le pain qui n’est pas partagé n’est pas du pain. Le buis aussi doit être partagé en Rameaux de Paix… une fois le confinement fini, de main en main ».
Bonne fête des Rameaux.
Abbé Jean-Marie Mallet-Guy