Message de l’évêque • Aimer l’Église, quand même…
Chers diocésains,
Comme vous, je souffre de tout ce que l’actualité a révélé ces temps derniers de terribles scandales dans notre Église, liés à la perversion de certains prêtres dans l’exercice de leur ministère, au détriment d’enfants ou de jeunes. Comme vous, je pense avec compassion aux victimes traumatisées par ces abus sexuels, en priant le Père de leur donner la force pour avancer, vivre, pardonner et de trouver sur leur chemin des frères attentifs et aimants.
Les enfants sont notre richesse. Jésus met en garde contre ceux qui les scandalisent (Mt 18, 6). Nous leur devons, comme à toute personne, un absolu respect. Je peux vous garantir que, dans notre diocèse, les conditions pour cela sont assurées, autant qu’il dépend de nous, et que ma détermination est claire, s’il fallait faire face à une quelconque mise en cause. Je suis à disposition de quiconque aurait à s’ouvrir d’atteinte à son intégrité.
Si nous devons du respect aux enfants, nous en devons également à l’Église, notre mère. En disant cela, je ne veux en rien minimiser la gravité du scandale dont les media se sont – très amplement – fait l’écho. Je ne veux pas nier non plus que l’Église ait trop tardé à (ré) agir, d’où les demandes de pardon répétées du Pape François, au nom de l’Église dont il est le premier pasteur. Cependant, si rien ne garantira jamais absolument contre la fragilité humaine, et si les efforts de la part de l’institution ne doivent jamais fléchir, reconnaissons qu’elle a fait énormément ces dernières années, pour prévenir et guérir : de l’attention portée au discernement et à la formation des séminaristes en matière de gestion de leur affectivité, aux moyens mis en place pour l’écoute et l’accompagnement des victimes et à la franche collaboration avec la justice en passant par le durcissement des peines canoniques.
Alors, aussi troublés et scandalisés que nous soyons devant les innommables forfaits commis, j’ose vous inviter à garder confiance en l’Église et en ses prêtres, pour au moins deux motifs :
Un motif d’expérience, la mienne et, je l’espère, la vôtre : de même qu’il est injuste de décréter que tous les hommes politiques sont des corrompus, de même ce serait faire le jeu de l’Adversaire de porter sur les prêtres en général un regard de suspicion. J’en côtoie depuis 25 ans, je travaille avec ceux du Limousin depuis un an. Sans être parfaits – qui prétend l’être ? –, ils accomplissent avec générosité et dévouement leur mission jour après jour, souvent en portant le poids des ans, parfois dans la belle fougue de leur jeunesse. Notre célibat n’est pas une cause de dangerosité – rappelons que la plupart des abus sexuels sont commis dans le cercle familial – mais de disponibilité, parce que notre vie consacrée à Dieu se veut du même mouvement donnée à tous. Je ne nie pas que des prêtres aient pu trahir le sens de cet engagement, mais j’affirme que l’immense majorité est profondément fidèle à la mission, pour votre bien.
Un motif de foi. Nous portons un regard de foi sur l’Église : « je crois à l’Église une, sainte, catholique et apostolique ». Nous la croyons Sainte, non parce que composée des saints que nous serions, mais parce que « le Christ l’a aimée et s’est livrée pour elle afin de la sanctifier » (Ep. 5, 26). Cette Église, selon les Pères du Concile Vatican II, est « à la fois sainte et appelée à se purifier et poursuit constamment son effort de pénitence et de renouvellement » (Lumen Gentium, 8).
Évoquant des « scandales » que l’on trouve dès le livre des Actes parmi les Apôtres, voici ce qu’écrit le Cardinal de Lubac, qui lui-même n’a pas été ménagé par certains aveuglements de ses supérieurs :
Quand bien même Saint Paul, au temps du conflit d’Antioche, eût eu vingt fois plus à se plaindre de Saint Pierre, quand bien même il eût estimé, à tort ou à raison, vingt fois plus scandaleuse l’ « attitude » adoptée par les « colonnes de l’Eglise », imagine-t-on que sa foi au Christ en eût été le moins du monde ébranlée ? Ou que ce scandale eût été capable de le détacher, si peu que ce fût, de l’unique Eglise du Christ ? – Notre foi est aujourd’hui la même, les fondements en sont les mêmes, elle s’est allumée au même Foyer, le même Esprit continue de l’infuser en nos cœurs, – et c’est toujours la même Eglise : qui nous déçoit et nous irrite, qui nous impatiente et nous décourage, indéfiniment par tout ce qui en elle s’apparente à notre propre misère, mais qui en même temps poursuit parmi nous son irremplaçable mission, qui ne cesse pas un seul jour de nous donner Jésus-Christ ; en qui le Père « nous délivre de la puissance des ténèbres et nous transporte dans le Royaume du Fils de son amour »[1] .
Peut-être avez-vous lu la lettre que le Saint Père, de manière inédite, a adressée à tout le peuple de Dieu, le 20 août dernier, comme un appel pressant à tout baptisé face au drame des abus sexuels. En redisant sa peine et sa honte, il invite tous les catholiques à agir : « le seul chemin que nous ayons pour répondre à ce mal qui a gâché tant de vies est celui d’un devoir qui mobilise chacun et appartient à tous comme peuple de Dieu[2] ».
Ce devoir, c’est celui de la prière et de la pénitence, celui de la conversion, qui nous concerne tous. C’est à quoi je vous appelle avec force ! Nous répondrons à ce mal en restant vigilants, mais surtout en nous lançant en avant, généreusement, dans l’aventure de la vie sainte, sur le chemin étroit et magnifique indiqué par Jésus. C’est par le bien que nous serons vainqueurs du mal. Je vous assure de ma prière et de ma disponibilité sur ce chemin commun.
+ Mgr Pierre-Antoine Bozo
[1] Henri de Lubac, Paradoxes suivi de Nouveaux Paradoxes, Seuil, 1959
[2] Pape François, Lettre au Peuple de Dieu, 20 août 2018, n° 2